L’Histoire de La P’tiote Breuve – Chap. 1

Kilian et Maurice, ces deux cons, avaient interpellé Jessica bruyamment. Ils l’avaient fait malgré la chaleur accablante, quand même émettre un son exigeait des efforts. Ajoutons qu’à cette heure, ils devaient avoir fumé quelques joints et avoir la bouche déjà bien pâteuse. Un jour, Kilian avait voulu me demander quelque chose, l’heure je crois, mais sa bouche était trop sèche et il était trop défoncé. Je n’avais rien compris. Comme j’avais éclaté de rire, il avait rougi et il était parti. Quelqu’un avait demandé un jour au prof de SVT pourquoi fumer un splif rendait la bouche pâteuse. Le prof avait essayé de se mettre en colère contre l’élève en question puis avait bredouillé quelques explications fumeuses sous l’insistance de la classe. On avait bien vu qu’il n’en avait pas la moindre idée.

– Jessica ! Avait gueulé Maurice.

Jessica était passée sans rien répondre, même pas un doigt dans leur direction. La chaleur sans doute. Kilian s’était redressé subitement comme si un éclair de génie venait de traverser son corps. Il s’était mis à chanter Jul et à danser, avec la voix qui déraillait complètement.   

– Ma che beauté ! Chuis jaloux quand tu m’calcules pas !

L’information avait mis deux trois secondes à arriver au cerveau de Maurice, avant de déclencher une hilarité vraiment spectaculaire. D’ailleurs tous les deux se marraient, au point qu’ils avaient fini littéralement par terre. 

Moi aussi j’avais ri parce que, franchement, c’était bien trouvé. Jul, c’est vraiment de la merde. Sans trop savoir pourquoi au juste, j’avais l’impression qu’ils s’étaient foutus davantage de la gueule de Jul que de Jessica. Ça m’avait donné envie d’aller les voir. 

– Vous avez de quoi fumer ? Demandai-je. Je ne fumais pas mais je n’avais pas eu d’autre idée pour avoir leur attention. Je ne voulais pas avoir l’air nulle.

– Quoi ? Une cigarette ou un joint ? Demanda Kilian.

– Un joint.

– C’est possible, avait répondu Kilian avec un air mystérieux à deux balles. Qu’est-ce qui te fait croire qu’on en a ?

– Vous sentez le shit. Et tout le monde sait que vous passez votre temps à ça.

Maurice et Kilian avaient ricané bêtement.

– Et alors ? Toi, tu veux fumer ? Avait reprit Kilian en me montrant du doigt avec vulgarité.

– Tu veux découvrir un monde nouveau ? Tu veux décoller, planer, délirer, triper ? Te mettre la race ? Avait poursuivi Maurice avec emphase en attrapant mes épaules. Son regard n’avait pas quitté le mien. Mon dieu, ses yeux brillaient comme jamais je n’avais vu. 

– Tu exagères, dis-je. La fumette ne fait rien de tout ça.

– Tu te trompes, dit Maurice d’un ton péremptoire.

– Erreur ! Cria Kilian, visiblement surexcité.

– Mouais, dis-je pour paraître cool. J’attends de voir.

– Rejoins-nous après les cours. Ici.

– C’est d’accord.

J’avais passé le reste de la journée à imaginer ce qui adviendrait.

À la fin des cours, Kilian et Maurice étaient là où nous nous étions laissés. 

– Kilian pensait que tu ne viendrais pas. 

– C’est vrai, admit Kilian.

– Bon. Qu’est-ce qu’on fait ? Avais-je demandé.

– Simple, avait dit Maurice. On se trouve un coin, on roule un cône et on le fume.

– Et c’est tout ? Avais-je dit, déçue.

Kilian et Maurice s’étaient regardés d’un air imbécile.

– C’est déjà pas mal, avait plaidé Kilian.

– Tu proposes autre chose ? Avait demandé Maurice.

– Si je dois décoller, planer ou que sais-je encore j’aimerais ne pas le faire depuis « un coin ». On pourrait se trouver un endroit plus intéressant, non ?

– Moi je m’en fous, du moment que mes lèvres touchent un splif et que la fumée me remplit les poumons, avait déclaré Kilian, philosophe.

– Pourquoi pas ? Avait dit Maurice. Ça pourrait être amusant. Je sais qu’on peut monter sur le toit du bâtiment E en grimpant dans un arbre. On pourrait se caler là-haut ? On fume à mort jusqu’à la nuit et puis on regarde les étoiles. 

– C’est beaucoup mieux ! M’étais-je enthousiasmée.

– Allez ! Avait lancé Kilian à qui la perspective de fumer au point de mourir devait sans doute plaire.

Après un moment il avait toutefois jugé bon d’ajouter que nous pourrions même continuer à fumer tout en regardant les étoiles.

Nous avions été plus ou moins obligés de tourner en rond le temps que le lycée se vide. Kilian n’avait pas réussi à tenir et s’était roulé un petit joint, en marchant, l’air de rien, avec une dextérité qui m’avait sidérée. Il s’était bien assuré de se placer de sorte que je le voie rouler son joint. Il n’arrêtait pas de me jeter des coups d’œil brefs et inappropriés, comme s’il voulait me surprendre.  Son visage était sec et fin, parsemé de quelques boutons d’acné. J’aimais bien son visage, mais sa démarche avait quelque chose d’inadéquat. Ses appuis étaient presque tout le temps branlants, comme s’il marchait sur un fil suspendu en l’air. Parfois, il se rattrapait de justesse pour ne pas tomber. Maurice était différent. Son visage était beau quoique moins touchant et moins délicat que celui de Kilian. Je devinais un dos et des membres puissants. Ses pas étaient droits, quasi militaires. Il s’était mis devant moi et ne s’était pas retourné une seule fois pour me regarder.

Après une demi-heure de marche, le lycée était désert et nous nous étions dirigés vers l’arbre qui surplombait le bâtiment E. Maurice avait fait mine de vouloir m’aider à monter mais je l’avais vite rembarré. 

– C’est pour descendre, quand on sera archi secs, que ce sera galère, avait pronostiqué Kilian en connaisseur.

– C’est clair ! Avait pouffé Maurice.

Une bouffée de joie m’avait envahie lorsque j’avais posé un pied sur le toit du bâtiment. Nous dominions le lycée et le vent nous caressait le visage. J’avais eu comme un sentiment de liberté. Mon premier mouvement fut de courir à fond à l’autre bout du bâtiment en écartant les bras. Kilian m’avait suivie, l’air totalement réjoui. Sur le bord du mur, nous nous étions attrapés la main pour regarder le lycée autour et les collines au loin.

Maurice avait joué au blasé. Il s’était calé contre un conduit d’aération et avait croisé les bras dans le style bad boy. Ce n’était pas pour me déplaire mais j’aurais préféré qu’il vienne me prendre              la main aussi. 

– Bon, on le roule ce joint ? s’était ressaisi Kilian au bout d’un moment.

– Et comment ! Avais-je répondu.

@simontrompette

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